L'auteur de cet article est Greg Kinsey, expert senior dans les domaines de l'excellence opérationnelle, de la transformation digitale et de l'industrie 4.0. Il accompagne les entreprises industrielles dans leur stratégie Industrie 4.0, leur mise en œuvre systématique, et la réalisation des résultats. En janvier 2023, il a rejoint le cabinet international de conseil opérationnel Argon & Co, un partenaire Consultant "Or" de Minitab, en tant que directeur associé à la tête du pôle Digital Manufacturing (Industrie 4.0). Nous avons eu la chance de l'interroger sur plusieurs sujets pour une série d'articles . Pour ce blog, Geg Kinsey partage sa vision de la transformation digitale. |
Quelle est votre définition de la transformation digitale ?
Pour nombre d'entre nous, la transformation digitale, c'est d'abord rechercher de nouvelles technologies et ensuite se demander ce qu'on va bien pouvoir en faire. En pratique, toutefois, la réflexion doit être menée dans l'autre sens. Pour moi, la transformation digitale doit davantage s'axer sur la transformation que sur les technologies. Elle doit avoir un objectif, être porteuse d'une vision concrète de la compétitivité future d'une entreprise.
La question qu'elle doit soulever est la suivante : que voulez-vous transformer ? Votre activité ? Vos procédés ? Votre culture ? Votre modèle économique ? Votre chaîne d'approvisionnement ? Votre offre de produits ? Et comment envisagez-vous cette transformation ? À quoi vous attendez-vous ? La transformation digitale consiste à appliquer des technologies afin de réinventer ses capacités et ses compétences, avec en ligne de mire un objectif de positionnement opérationnel défini pour le futur.
Souvent, lorsque je rencontre des clients, je leur demande : « Quelle est votre vision de l'avenir pour votre usine ? Que souhaitez-vous accomplir, dans le fond ? Quel est votre projet ? À quoi ressemblera votre activité en 2030 ? » Étonnamment, les dirigeants ont bien souvent du mal à répondre à ces questions. Ce sont pourtant des réflexions cruciales qui définissent vos stratégies en matière d'excellence opérationnelle et de transformation digitale.
Qu'est-ce que l'excellence opérationnelle ?
Dans un schéma d'entreprise traditionnel, les équipes d'excellence opérationnelle ont une mission kaizen très ancrée dans leur fonction. Elles sont chargées d'identifier les problèmes qui pèsent sur la productivité au quotidien : goulets d'étranglement, pannes, temps d'arrêt, etc. Cette mission est indispensable. Pour autant, l'excellence opérationnelle doit également s'attacher à la création de nouvelles capacités visant des niveaux de performances plus élevés. L'ambition de cette fonction doit être de repenser totalement le système opérationnel.
En soi, l'excellence opérationnelle détermine ce sur quoi va porter la transformation numérique, tandis que les technologies constituent le moyen d'y parvenir. La fonction d'excellence opérationnelle doit examiner de façon approfondie en quoi la digitalisation peut devenir ce catalyseur. La plupart du temps, les équipes informatiques ne connaissent pas vraiment les aspects opérationnels des sites de fabrication ou de la chaîne d'approvisionnement. Par conséquent, elles ne peuvent pas, à elles seules, délimiter ni exécuter la transformation digitale.
L'enjeu est donc de réunir ces deux équipes pour que les technologies digitales portent l'excellence opérationnelle vers la réalisation des objectifs fixés et la concrétisation de la vision d'avenir.
Pourquoi la transformation digitale nous pousse-t-elle à réinventer notre modèle opérationnel et à définir de nouvelles façons de travailler ?
Toute organisation industrielle repose sur un modèle opérationnel. Ce modèle a été mis en place pour fonctionner d'une certaine façon, et certaines organisations savent quelles améliorations elles souhaitent apporter à leur modèle. En transformant ce modèle, vous pouvez créer des fonctions radicalement différentes.
Le parcours de production au plus juste (dit « lean ») des 30 derniers jours en est un exemple parlant. Le modèle de production au plus juste est fondamentalement différent, car il utilise la moitié de l'espace et requiert la moitié des intrants (à savoir l'énergie, les matériaux, l'activité humaine, ou tout autre moyen nécessaire aux processus). Inspiré par le célèbre système de production Toyota, le modèle au plus juste a pour objet le changement radical des méthodes de travail et la formation du personnel.
Prenons un autre exemple ; vous êtes confronté à de nouvelles exigences de la part de vos clients. Vous devez vous adapter rapidement. Sur le marché, la demande s'oriente peut-être vers des produits plus personnalisés. Pour passer à une personnalisation de masse des produits, vous devez refondre votre modèle opérationnel. Cette transformation n'a rien de simple, car vos fournisseurs ne souhaitent pas forcément s'adapter comme vous. En parallèle, vous optez pour des fournisseurs locaux et ayant adopté une approche plus durable. Il est d'ailleurs possible que votre modèle de production soit optimisé pour d'importants volumes. Vous l'avez compris, la transformation de votre modèle opérationnel peut impliquer une extrême complexité. Un réseau intriqué de contraintes économiques, politiques, sociales et liées au marché paralyse généralement votre activité.
Ces exemples prouvent que vous ne pouvez pas envisager une transformation digitale déconnectée des autres fonctions. Vous devez combiner une stratégie digitale avec une stratégie globale pour repenser complètement votre modèle opérationnel.
Selon vous, quelle est la meilleure façon de réunir l'équipe informatique et l'équipe d'excellence opérationnelle d'une organisation ?
Une transformation de fond cohérente commence par l'implication des hauts responsables. Mon expérience m'a appris que si une entreprise ne prend pas le temps d'impliquer ses dirigeants, elle en subira les conséquences un jour ou l'autre. La première étape consiste donc à demander aux dirigeants de décider de l'orientation qu'ils souhaitent donner à la transformation de la chaîne de valeur de bout en bout.
La chaîne de valeur englobe les réponses aux questions suivantes : comment est créée la valeur ? Comment travaillent les collaborateurs ? Comment sont déplacés les matériaux ? Comment fonctionnent les processus ? Comment fonctionnent les systèmes informatiques ? Comment les responsables dirigent-ils leurs équipes ? L'équipe dirigeante doit établir une approche cohérente et être ouverte à la discussion.
Quelles sont nos priorités ? Par où commencer ? Quels sont les principaux scénarios d'utilisation ? Parmi eux, lesquels sont concernés par une application à court terme ? À moyen terme ? À long terme ? Quels seront les marqueurs de réussite ? Quels résultats souhaitons-nous atteindre ? Les KPI opérationnels doivent-ils être reconsidérés ?
Il est essentiel d'apporter des réponses à ces questions dès le début. La direction à prendre doit être clairement définie.
La deuxième étape, et elle n'est pas sans importance, consiste à réunir des groupes de travail transversaux au sein desquels les travailleurs sont largement représentés. Pour réellement innover, il est primordial de collaborer avec les personnes impliquées dans les processus. En japonais, le terme genba désigne précisément l'endroit où a lieu la création de valeur et où s'affairent les exécutants. Les collaborateurs qui travaillent à l'atelier ont généralement beaucoup d'idées et de connaissances qui vous aideront à mettre au point des solutions et des cas d'utilisation numériques. D'ailleurs, ce sont eux qui utiliseront à terme ces solutions numériques. Il est donc capital de prendre en compte leurs besoins lors de la conception de l'expérience utilisateur.
Il est de fait primordial d'assurer l'acceptation de ces solutions par les utilisateurs. Si les employés sont contraints d'adopter à une technologie, qu'elle soit meilleure ou non, il y a des chances qu'ils la rejettent, la sabotent, la critiquent ou, plus généralement, qu'ils fassent obstacle à la réussite de sa mise en œuvre, car personne ne leur a demandé leur avis. Tout au long du processus, une communication efficace doit être assurée.
Quels facteurs décisifs ont contribué à la réussite des transformations digitales dont vous avez été témoin ?
Le premier facteur de réussite consiste à se concentrer sur l'innovation plutôt que sur la technologie. Innover, c'est identifier les problèmes à résoudre et les analyser en profondeur. Parfois, cela revient à se demander « est-ce que je pose les bonnes questions ? », voire même à remettre en question les bases de sa propre réflexion. Pour innover, il est parfois nécessaire d'étudier les comportements pour comprendre les habitudes des gens et chercher des solutions afin de faire évoluer ces modes de fonctionnement, et peut-être même d'en mettre en place de meilleurs. Pour innover, il faut parfois partager et formuler des idées, réalisables ou non, en grand nombre pour que la réflexion aboutisse. La mise en commun d'idées et l'expérimentation sont au cœur du processus d'innovation.
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Pourquoi la transformation digitale peut-elle se traduire par un échec ?
La plus grande cause d'échec est probablement la polarisation autour d'une solution. On peut parfois avoir l'impression d'avoir trouvé le graal, mais c'est trop tôt. La solution semble parfaite, et on a juste envie d'installer la technologie sans analyser les problèmes à résoudre à travers le prisme de l'excellence opérationnelle. La technologie peut devenir le remède à tous les maux rencontrés. L'attention des personnes en charge ne se porte alors plus sur les cas d'utilisation potentiels ni la recherche d'approches novatrices pour résoudre les véritables problèmes. Selon moi, le secteur informatique est en partie coupable de ce détournement d'attention, car, depuis 20 ans, le marché est inondé de produits qui ne répondent pas à un besoin, mais qui suscitent le désir d'achat du produit pour le produit lui-même.
La deuxième cause d'échec est le manque de volonté interne au sein de l'équipe de direction, comme je le soulignais au début de cet article.
La troisième cause d'échec est une mauvaise approche de ce qu'est la transformation digitale. Votre objectif est-il d'installer un maximum de technologies ou de révolutionner vos modes de fonctionnement ? La numérisation implique une grande part de restructuration des processus et de changements organisationnels. La plupart du temps, l'intégralité du modèle de gestion doit également être modernisée.
Qu'attendre de la 4ème révolution industrielle ?
Depuis 2015, on entend parler d'une 4ème révolution industrielle. Ce concept a toujours été plutôt vague, mais nombreux sont ceux qui pensent qu'il s'agit simplement du déploiement massif de la technologie, à savoir des technologies de l'information (informatique) et des technologies opérationnelles. Pour ma part, je ne suis pas d'accord avec cette approche simpliste. D'ailleurs, l'utilisation croissante de l'informatique et des technologies opérationnelles dans l'industrie n'a rien de nouveau. La 3ème révolution industrielle a marqué l'arrivée des robots industriels, de l'informatique et des logiciels industriels, comme les logiciels de pilotage de la production, qui ont vu le jour dans les années 1980.
Si l'on se penche plus en avant sur ces révolutions industrielles, on s'aperçoit qu'elles ont surtout entraîné un changement fondamental de la manière de travailler. Ce type de mutation implique une évolution du modèle de production, donc une transformation des compétences de la main-d'œuvre, des modèles organisationnels et des méthodes de direction. Les modèles économiques et sociaux de l'industrie sont totalement repensés.
Avec du recul, voici ce que l'on constate :
· La 1re révolution industrielle a marqué l'arrivée du travail spécialisé. Les artisans.
· La 2e révolution industrielle a marqué l'arrivée du travail standardisé, de la production de masse et du taylorisme. Les concepts d'Henry Ford.
· La 3e révolution industrielle a marqué l'arrivée des systèmes Pull comptant sur des travailleurs autonomes, souvent sur des flux à l'unité et dans des cellules de production en forme de U. Les concepts de Toyota.
Ainsi, sur une période de 250 ans, nous sommes passés du travail spécialisé au travail standardisé au travail autonome.
Pour l'avenir, je mise sur une 4e révolution industrielle opérant un virage vers le travail intellectuel. Les ouvriers ne seront plus payés pour un travail physique, mais pour un travail intellectuel. Les entreprises retireront de la valeur de ce qu'ils savent et des moyens qu'ils emploient pour rassembler les données afin d'optimiser la productivité, de résoudre les problèmes, de superviser les processus et de gérer les opérations. La plus grande partie du travail physique sera réalisée par des machines autonomes ou semi-autonomes, que nous voyons déjà dans les usines automobiles ou électroniques de pointe.
Cette 4e révolution devrait entraîner une transformation radicale positive des modèles économiques et sociaux de l'industrie, à l'instar des précédentes révolutions. La technologie n'est pas le seul levier à actionner pour transformer toute une organisation en ce sens. Vous devez visualiser votre entreprise du futur, ses capacités opérationnelles et les compétences humaines requises pour qu'elle prenne forme.
Il est également important que vous compreniez l'intérêt du travail intellectuel des ouvriers : au niveau financier et écologique, pour la clientèle et, par-dessus tout, pour les ouvriers eux-mêmes.
Quel est le rôle de l'analyse prédictive dans tout ça ?
Excellente question ! Être capable d'anticiper les problèmes avant qu'ils surviennent avec un degré de probabilité élevé constitue une perspective intéressante. C'est ce que nous appelons l'analyse prédictive. Tout travailleur, quel que soit son poste, aimerait pouvoir prévoir les problèmes avec précision avant qu'ils aient lieu. Chez Hitachi Vantara, mon équipe a déjà commencé des projets dans ce domaine. Nous utilisons la science des données pour modéliser les causes et les effets à l'avance. Les trois principaux cas d'utilisation en fabrication sont les suivants : la prévision des problèmes de qualité, la prévision des temps d'arrêt non programmés et la prévision des goulets d'étranglement de la production.
Une fois les données prédictives à leur disposition, les opérateurs s'en servent pour essayer d'empêcher un problème de survenir. Il s'agit là d'analyse prescriptive.
« L'analyse prédictive est un outil puissant qui va fondamentalement révolutionner la nature de la main-d'œuvre et du travail. » – Greg Kinsey
L'industrie de la fabrication a la réputation d'être un secteur où les pannes et les problèmes s'enchaînent intempestivement et doivent continuellement être corrigés. À mon avis, la transformation digitale va permettre la mise en place d'un environnement plus proactif et mieux contrôlé, soutenu par un grand nombre d'informations accessibles en cas de problème. Votre téléphone, à portée de main, devient la principale source d'information dont vous avez besoin pour être efficace dans votre quotidien professionnel. Il vous avertit des problèmes avant qu'ils surviennent, grâce aux données. Moins de réparations à la hâte, moins de stress, plus de confiance et plus de contrôle : voilà ce qui vous attend.
Au quotidien, on nous sert des données à toutes les sauces. Néanmoins, lorsque les employés peuvent tirer pleinement et concrètement parti de la puissance des données en temps réel, la nature même de leur travail change. La révolution arrive lorsque ces employés cessent d'être des exécutants relégués dans des bureaux et deviennent des coordinateurs, des opérateurs d'équipements, des responsables qualité et des chargés de maintenance dans le genba. Si les employés qui travaillent à l'atelier peuvent tirer parti d'un environnement de travail qui s'appuie sur des données, peut-être pouvons-nous parler de l'avènement de la 4e révolution industrielle.
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